Camille de Roquefeuil-Cahuzac réussit le premier tour du monde d’un français après la Révolution. Mais il n‘en rapporta en définitive ni fortune ni gloire...
Tahiti, le 30 octobre 2020 - Le billard à plusieurs bandes est un exercice difficile et le navigateur français Camille Joseph de Roquefeuil-Cahuzac en a fait l’amère expérience lors de sa circumnavigation entre 1816 et 1819 ; l’idée de récolter des peaux de loutres au nord de l’Amérique, le long des côtes Pacifique, puis du santal aux Marquises afin de les échanger contre des marchandises chinoises sans rien débourser ou presque et de revendre le tout au prix fort en France était séduisante sur le papier. Mais il y a souvent loin de la coupe aux lèvres. Du moins doit-on à de Roquefeuil un intéressant portrait de la société marquisienne entre la fin 1817 et le début 1818...
Après Bougainville de 1766 à 1769 puis Etienne Marchand entre 1790 et 1792, aucun navigateur français ne s’était aventuré à faire un tour du monde jusqu’à ce qu’en 1815, du côté de Bordeaux, l’appât du gain ne décide un riche armateur bordelais et un jeune capitaine de la Royale à tenter de ramasser le jackpot au terme d’un itinéraire de deux à trois ans autour du monde : les fourrures des rivages Pacifique de l’Amérique du Nord, le santal des Marquises et de Hawaii étaient, pensait-on, très demandés à Canton ou Macao ; on pourrait les échanger contre des porcelaines, soieries et autres articles chinois alors très en vogue en Europe, puis, en rentrant les cales pleines par l’océan Indien et le cap de Bonne-Espérance, on décrocherait le gros lot en faisant un profit considérable.
Disons-le tout net, si le tour du monde eut bien lieu, il ne rapporta pas un sou ou presque mais permit à de Roquefeuil d’inscrire son nom dans la liste des grands navigateurs du début du XIXe siècle. Son plus grand mérite à nos yeux a été de ramener son équipage sain et sauf à bon port, à l’exception d’un décès, ce qui, à l’époque, peut être considéré comme un exploit.
Après Bougainville de 1766 à 1769 puis Etienne Marchand entre 1790 et 1792, aucun navigateur français ne s’était aventuré à faire un tour du monde jusqu’à ce qu’en 1815, du côté de Bordeaux, l’appât du gain ne décide un riche armateur bordelais et un jeune capitaine de la Royale à tenter de ramasser le jackpot au terme d’un itinéraire de deux à trois ans autour du monde : les fourrures des rivages Pacifique de l’Amérique du Nord, le santal des Marquises et de Hawaii étaient, pensait-on, très demandés à Canton ou Macao ; on pourrait les échanger contre des porcelaines, soieries et autres articles chinois alors très en vogue en Europe, puis, en rentrant les cales pleines par l’océan Indien et le cap de Bonne-Espérance, on décrocherait le gros lot en faisant un profit considérable.
Disons-le tout net, si le tour du monde eut bien lieu, il ne rapporta pas un sou ou presque mais permit à de Roquefeuil d’inscrire son nom dans la liste des grands navigateurs du début du XIXe siècle. Son plus grand mérite à nos yeux a été de ramener son équipage sain et sauf à bon port, à l’exception d’un décès, ce qui, à l’époque, peut être considéré comme un exploit.
Un très riche négrier
Jean-Etienne Balguerie fournit à de Roquefeuil son navire, le Bordelais, un petit trois-mâts de 200 tonneaux. Balguerie devait sa fortune à la traite négrière qu’il pratiquait depuis Bordeaux.
Revenons à l’origine de ce projet, à l’ancien capitaine négrier Jean-Etienne Balguerie (31 juillet 1756-11 mars 1831), originaire de Sète par sa famille, mais installé confortablement au château de Talence dans l’actuelle agglomération bordelaise. Balguerie ne fit pas que transporter des Noirs aux colonies. De 1783 à 1785, il fut capitaine d’un très gros navire, le bien nommé Hippopotame (de 800 tonneaux) qui effectua une expédition en Chine, via le cap de Bonne Espérance. L’armateur, la compagnie Jean-Louis Baux, Barde et Cie, en tira un substantiel profit et Balguerie s’en souviendra bien plus tard. A l’époque, il était jeune (27 ans) et n’avait pas encore les moyens de monter sur ses fonds propres une telle expédition. Associé en septembre 1788 à Jean-Louis Baux alors que Bordeaux prospérait grâce à la traite négrière, Balguerie fit vite fortune ; son château sur le domaine Bonnefont, à Talence, atteste de sa bonne santé financière et en 1815 son amitié avec Camille de Roquefeuil, alors âgé de 34 ans, lui fit tourner ses regards –et ses espoirs de profits– du côté de la Chine.
Feu vert du gouvernement
De Roquefeuil, marquis de son état, lieutenant de vaisseau dans la Royale et décoré de la Légion d’honneur, n’était pas homme à se compromettre dans le trafic d’esclaves. En revanche, il avait de l’entregent : faute de grandes batailles sur son agenda, il proposa au gouvernement français un voyage autour du monde, le premier après la Révolution, voyage aux buts avant tout commerciaux. L’idée séduisit, à tel point que le financement en fut partiellement assuré par le gouvernement, ce qui fit bien l’affaire de l’armateur Balguerie ; celui-ci mit bien volontiers à disposition l’un de ses navires, le Bordelais, petit trois mâts de deux cents tonneaux armé de huit canons et emportant un équipage de trente-quatre hommes.
11 octobre 1816 : le Bordelais largua ses amarres du quai de Bordeaux pour réaliser son ambitieux tour du monde. La coque du navire avait été doublée de plaques de cuivre pour la protéger des tarets mais le travail avait été si mal fait que l’équipage dut sans cesse “bricoler” ces plaques mal ajustées sur lesquelles se colleront des algues.
Particularité de l’équipement de bord, un chronomètre Bréguet flambant neuf, qui permit de calculer avec précision la longitude.
11 octobre 1816 : le Bordelais largua ses amarres du quai de Bordeaux pour réaliser son ambitieux tour du monde. La coque du navire avait été doublée de plaques de cuivre pour la protéger des tarets mais le travail avait été si mal fait que l’équipage dut sans cesse “bricoler” ces plaques mal ajustées sur lesquelles se colleront des algues.
Particularité de l’équipement de bord, un chronomètre Bréguet flambant neuf, qui permit de calculer avec précision la longitude.
Deux mois aux Marquises
L’itinéraire suivi par de Roquefeuil à bord du Bordelais. Son escale aux Marquises dura deux mois qu’il mit à profit pour réparer son navire et étudier la vie de ceux que l’on appelait alors des “Indiens”.
Il fallut au Bordelais près de quatre mois pour passer le cap Horn, qui se refusa à de Roquefeuil pendant des jours et des jours. Suivirent Valparaiso puis Callao (Pérou) et enfin avec du retard, une première prospection sur la côte nord américaine. L’hivernage obligea de Roquefeuil à se replier vers le sud. Il choisit logiquement l’archipel marquisien où il savait pouvoir réparer son bateau, mettre ses hommes au repos et surtout acquérir du bois de santal alors appelé “sandal”.
Au total, le Bordelais séjourna deux mois dans l’archipel alors assez peu connu au moins des Français.
Le 22 décembre 1817, le voilier était en vue du groupe sud des Marquises, Fatu Uku, Hiva Oa, Mohotani, mais de Roquefeuil préféra mettre le cap au nord, sur Ua Huka. Le 23 décembre, après avoir longé Ua Huka, le Bordelais aperçut Nuku Hiva ; parvenu à Taiohae, mouillage parfaitement sûr, de Roquefeuil y fut accueilli à la fois par les Marquisiens, dont le chef Kiatonui, par un beachcomber américain du nom de Ross et par le capitaine d’un navire américain déjà au mouillage, Cornelius Sowle, du navire La Ressource. A terre, un Anglais résidant à Taiohae servit d’interprète.
Au total, le Bordelais séjourna deux mois dans l’archipel alors assez peu connu au moins des Français.
Le 22 décembre 1817, le voilier était en vue du groupe sud des Marquises, Fatu Uku, Hiva Oa, Mohotani, mais de Roquefeuil préféra mettre le cap au nord, sur Ua Huka. Le 23 décembre, après avoir longé Ua Huka, le Bordelais aperçut Nuku Hiva ; parvenu à Taiohae, mouillage parfaitement sûr, de Roquefeuil y fut accueilli à la fois par les Marquisiens, dont le chef Kiatonui, par un beachcomber américain du nom de Ross et par le capitaine d’un navire américain déjà au mouillage, Cornelius Sowle, du navire La Ressource. A terre, un Anglais résidant à Taiohae servit d’interprète.
Menaces à Hiva Oa
Sowle ne cacha pas à de Roquefeuil que son but dans l’archipel qu’il avait sillonné en long et en large avait été de récolter du santal ; il en avait amassé soixante tonneaux dans ses cales et s’apprêtait à partir pour la Chine livrer son bois avant de commencer une campagne de chasse aux otaries à fourrure dans le nord de l’Amérique, puisque cette chasse était l’objet initial de son voyage. Sowle avait conseillé à de Roquefeuil d’aller faire des provisions dans le groupe Sud, conseil qui fut suivi puisque le 30 décembre, le Bordelais, après avoir remonté le canal qui porte aujourd’hui son nom entre Tahuata et Hiva Oa, approcha de Hiva Oa et y jeta l’ancre le 31 décembre avant le lever du jour.
La première visite fut pour Taaoa où deux ans plus tôt, tout l’équipage d’une baleinière du voilier Flying Fish avait été massacré et dévoré.
Autant dire que les Français étaient sur leur garde face à ces inquiétants cannibales. Faute de santal et de vivres (des porcs), la baleinière du Bordelais fit route vers Atuona où elle était attendus avec neuf quintaux de santal prêts à être échangés contre de la poudre. Le 1er janvier, huit à neuf autres quintaux de santal furent récoltés à Atuona ainsi que quelques porcs.
Un second passage à Taaoa eut pu se terminer très mal si les Français avaient cédé au charme des jeunes femmes envoyées à leur rencontre ; averti qu’un stock d’armes avait été constitué et que les guerriers leur réservaient le même sort que les malheureux du Flying Fish, de Roquefeuil jugea plus prudent de revenir au navire. La nuit suivante, des amarres furent coupées, les indigènes espérant sans doute précipiter le Bordelais sur les rochers, mais l’équipage veillait ; bilan de cette courte escale à Hiva Oa, quatre tonnes de santal et la bagatelle de quatre-vingt cochons.
Face à ce qu’il qualifia de perfidie de la part des Marquisiens, de Roquefeuil préféra quitter le groupe Sud et revenir à Taiohae remettre en état son navire. Et ce n’était pas le travail qui manquait après ces longs mois de haute mer.
La première visite fut pour Taaoa où deux ans plus tôt, tout l’équipage d’une baleinière du voilier Flying Fish avait été massacré et dévoré.
Autant dire que les Français étaient sur leur garde face à ces inquiétants cannibales. Faute de santal et de vivres (des porcs), la baleinière du Bordelais fit route vers Atuona où elle était attendus avec neuf quintaux de santal prêts à être échangés contre de la poudre. Le 1er janvier, huit à neuf autres quintaux de santal furent récoltés à Atuona ainsi que quelques porcs.
Un second passage à Taaoa eut pu se terminer très mal si les Français avaient cédé au charme des jeunes femmes envoyées à leur rencontre ; averti qu’un stock d’armes avait été constitué et que les guerriers leur réservaient le même sort que les malheureux du Flying Fish, de Roquefeuil jugea plus prudent de revenir au navire. La nuit suivante, des amarres furent coupées, les indigènes espérant sans doute précipiter le Bordelais sur les rochers, mais l’équipage veillait ; bilan de cette courte escale à Hiva Oa, quatre tonnes de santal et la bagatelle de quatre-vingt cochons.
Face à ce qu’il qualifia de perfidie de la part des Marquisiens, de Roquefeuil préféra quitter le groupe Sud et revenir à Taiohae remettre en état son navire. Et ce n’était pas le travail qui manquait après ces longs mois de haute mer.
Attaqué par derrière à Hakaui
De Roquefeuil en profita pour explorer les environs de Taiohae : Hakaui d’abord, Hakatea ensuite. A Taiohae, le décès du petit-fils de Kiatonui allait donner lieu à une impressionnante cérémonie à laquelle de Roquefeuil eut le privilège d’assister.
A Hakaui, où le bois précieux était plus abondant qu’à Taiohae déjà pratiquement vidé de ses pieds de santal, de Roquefeuil échappa de peu à la mort, un Marquisien mécontent d’avoir dû respecter le contrat passé avec le capitaine français ayant tenté de le tuer par derrière avec son casse-tête (c’est le père de l’agresseur qui parvint à arrêter son fils pour éviter des représailles).
Le 25 janvier, le subrécargue du Bordelais avait enregistré quatre cent-vingt quintaux de santal dans les cales, bois traité, préparé, emplissant la bagatelle de quatre-vingt tonneaux. Il n’y avait pas que les cales qui en contenaient puisque le navire en était encombré et que certains tonneaux furent même, faute de place ailleurs, arrimés sur le pont.
Finalement, le 28 janvier à 9h30 du matin, le Bordelais levait ses ancres et quittait l’archipel, de Roquefeuil regrettant de ne pas avoir eut le temps d’explorer toute la côte nord-ouest de la grande île.
Le capitaine laissa à terre un de ses officiers, M. Siepky, trop malade pour continuer cette odyssée, laissé aux bons soins de Ross, demeurant lui aussi à Taiohae.
A Hakaui, où le bois précieux était plus abondant qu’à Taiohae déjà pratiquement vidé de ses pieds de santal, de Roquefeuil échappa de peu à la mort, un Marquisien mécontent d’avoir dû respecter le contrat passé avec le capitaine français ayant tenté de le tuer par derrière avec son casse-tête (c’est le père de l’agresseur qui parvint à arrêter son fils pour éviter des représailles).
Le 25 janvier, le subrécargue du Bordelais avait enregistré quatre cent-vingt quintaux de santal dans les cales, bois traité, préparé, emplissant la bagatelle de quatre-vingt tonneaux. Il n’y avait pas que les cales qui en contenaient puisque le navire en était encombré et que certains tonneaux furent même, faute de place ailleurs, arrimés sur le pont.
Finalement, le 28 janvier à 9h30 du matin, le Bordelais levait ses ancres et quittait l’archipel, de Roquefeuil regrettant de ne pas avoir eut le temps d’explorer toute la côte nord-ouest de la grande île.
Le capitaine laissa à terre un de ses officiers, M. Siepky, trop malade pour continuer cette odyssée, laissé aux bons soins de Ross, demeurant lui aussi à Taiohae.
Une fin de voyage en demi-teinte
Dessin naïf du port de Canton où de Roquefeuil arriva en fin de saison, alors que le prix du santal avait considérablement baissé compte tenu de l’abondance de ce bois livré par de nombreux bateaux américains.
Après son hivernage aux Marquises, essentiellement à Nuku Hiva, de Roquefeuil reprit le chemin des côtes nord-ouest de l’Amérique, alors contrôlées essentiellement par les Espagnols, au sud et par les Russes au nord. Le drame de l’île du Prince de Galles (voir notre encadré “20 morts à l’île du Prince de Galles”), une récolte de peaux passable, du temps perdu dans cette région comme à Hawaii sur la route de la Chine amena le Bordelais à Macao et Canton dans ce que de Roquefeuil qualifie d’arrière-saison en termes de commerce. L’abondance de navires américains ayant déjà vendu leurs marchandises avait fait considérablement baisser les prix des peaux comme du santal, alors que les prix des marchandises chinoises s’étaient envolés. Le santal dont le plus bas historique avait été de treize piastres ne se vendit qu’à neuf pour celui de Hawaii et à six pour le marquisien. Seules les peaux de loutre trouvèrent des acheteurs motivés (trente piastres la pièce en moyenne). Faute de marchandises nobles, de Roquefeuil chargea le Bordelais de sucre. Sa taxe de séjour fut bien trop élevée au goût des Français qui avaient aussi à payer des réparations et surtout des vivres pour rentrer en France. De Roquefeuil, à dire vrai, arrivait trop tard de quelques années : en quatre ans, de 1815 à 1818, pas moins de cent cinquante-quatre navires américains s’étaient rendus à Canton et Macao pour y commercer. Entre 1817 et 1818, quarante-cinq bateaux anglais échangèrent à leur profit coton, lainages et opium en provenance de l’Inde.
Pour de Roquefeuil, les promesses du marché chinois n’étaient plus ce qu’elles avaient pu être ; il vit plutôt dans l’Amérique du Sud des débouchés pour les produits français qui y étaient très recherchés.
Le Bordelais quitta la rade de Macao le 17 avril 1819 ; il doublait le détroit de la Sonde le 7 juin, relâcha à l’île Maurice du 1er au 17 juillet, passa à Saint-Denis de La Réunion le 20 juillet, doubla le cap de Bonne Espérance le 13 août mais n’entra dans la Gironde que le 21 novembre 1819, après trente-sept mois et deux jours de voyage, dont vingt-deux mois et six jours sous voile.
Cette première circumnavigation française post-Révolution ne rapporta guère, sinon un joli succès d’édition à Camille de Roquefeuil dont le récit fut traduit en plusieurs langues en Europe.
Jean-Etienne Balguerie, l’armateur qui avait pris à sa charge une part importante des coûts de l’expédition, en fut pour ses frais...
Pour de Roquefeuil, les promesses du marché chinois n’étaient plus ce qu’elles avaient pu être ; il vit plutôt dans l’Amérique du Sud des débouchés pour les produits français qui y étaient très recherchés.
Le Bordelais quitta la rade de Macao le 17 avril 1819 ; il doublait le détroit de la Sonde le 7 juin, relâcha à l’île Maurice du 1er au 17 juillet, passa à Saint-Denis de La Réunion le 20 juillet, doubla le cap de Bonne Espérance le 13 août mais n’entra dans la Gironde que le 21 novembre 1819, après trente-sept mois et deux jours de voyage, dont vingt-deux mois et six jours sous voile.
Cette première circumnavigation française post-Révolution ne rapporta guère, sinon un joli succès d’édition à Camille de Roquefeuil dont le récit fut traduit en plusieurs langues en Europe.
Jean-Etienne Balguerie, l’armateur qui avait pris à sa charge une part importante des coûts de l’expédition, en fut pour ses frais...
20 morts à l’île du Prince de Galles
En installant soixante Kodiaques et son équipage sur les terres des Indiens Tlingits, de Roquefeuil sous-estima la réaction violente de ceux-ci, qui massacrèrent une vingtaine d’hommes ; sur ce tableau la bataille de Sitka qui permit aux Russes de conforter leur implantation dans la région. Face aux Tlingits, ils eurent les pires difficultés.
Le voyage du Bordelais aurait pu être un sans faute sur le plan humain (à défaut d’être une réussite commerciale), mais malheureusement pour Camille de Roquefeuil, son expédition fut endeuillée par une terrible tragédie ; le drame eut pour cadre l’île du Prince de Galles, au sud-est de l’Alaska, le 18 juin 1818, alors que le Bordelais faisait escale pour compléter son chargement de peaux de loutres.
Afin d’aider son équipage qui ne comprenait bien évidemment aucun trappeur à bord, de Roquefeuil avait jugé bon de faire appel à des Indiens Kodiaques, des indigènes de la grande île de Kodiak, experts en chasse. C’est la Compagnie russe des Amériques, basée à Port Saint-Paul, qui loua en quelque sorte soixante Indiens et trente petites barques aux Français sous la surveillance de deux agents. Le contrat passé avec les Russes stipulait que la moitié des peaux de loutres resterait aux Français, l’autre moitié devant être livrée à la compagnie russe. Fait important, qui greva très lourdement les finances de l’expédition, une indemnité de deux cents piastres devait être versée pour chaque Indien Kodiaque qui serait éventuellement tué par d’autres tribus indiennes. Commentaire bien imprudent du capitaine de Roquefeuil : “l’accident pour lequel j’étais tenu à une indemnité ne se rencontrait que rarement depuis plusieurs années”...
Le Bordelais mit donc le cap sur l’île du Prince de Galles avec ses chasseurs Kodiaques. Malheureusement, ce débarquement en masse de plusieurs dizaines d’Indiens d’une autre tribu sur leurs terres ne fut pas du goût des Tlingits qui vivaient sur place ; ces derniers, après avoir commencé à fournir des peaux de loutres aux Français, changèrent complètement d’attitude. Disposant de fusils et de munitions, ils organisèrent une attaque et déboulèrent par surprise sur le campement des Kodiaques ; ces derniers étaient alors quarante-sept, se croyant en sécurité, donc sans méfiance. Vingt d’entre eux furent tués, beaucoup à bout portant, deux se noyèrent très probablement et vingt-cinq parvinrent à s’échapper à la nage en direction du bateau. Douze d’entre eux étaient blessés, la plupart gravement. Les Tlingits ne firent pas de détails et massacrèrent aussi bien les hommes que les femmes, ne faisant aucun prisonnier. Un homme d’équipage français fut, lui aussi tué, le seul de toute cette expédition.
De Roquefeuil lui-même, qui se trouvait à terre, faillit bien être abattu. Il ne dut son salut qu’à la promptitude avec laquelle il se déshabilla et se jeta à l’eau pour être récupéré par ses hommes. Quant au coût du drame, vingt fois deux cents piastres, soit quatre mille piastres, il contribua à rendre toute l’expédition déficitaire à son retour en France...
Afin d’aider son équipage qui ne comprenait bien évidemment aucun trappeur à bord, de Roquefeuil avait jugé bon de faire appel à des Indiens Kodiaques, des indigènes de la grande île de Kodiak, experts en chasse. C’est la Compagnie russe des Amériques, basée à Port Saint-Paul, qui loua en quelque sorte soixante Indiens et trente petites barques aux Français sous la surveillance de deux agents. Le contrat passé avec les Russes stipulait que la moitié des peaux de loutres resterait aux Français, l’autre moitié devant être livrée à la compagnie russe. Fait important, qui greva très lourdement les finances de l’expédition, une indemnité de deux cents piastres devait être versée pour chaque Indien Kodiaque qui serait éventuellement tué par d’autres tribus indiennes. Commentaire bien imprudent du capitaine de Roquefeuil : “l’accident pour lequel j’étais tenu à une indemnité ne se rencontrait que rarement depuis plusieurs années”...
Le Bordelais mit donc le cap sur l’île du Prince de Galles avec ses chasseurs Kodiaques. Malheureusement, ce débarquement en masse de plusieurs dizaines d’Indiens d’une autre tribu sur leurs terres ne fut pas du goût des Tlingits qui vivaient sur place ; ces derniers, après avoir commencé à fournir des peaux de loutres aux Français, changèrent complètement d’attitude. Disposant de fusils et de munitions, ils organisèrent une attaque et déboulèrent par surprise sur le campement des Kodiaques ; ces derniers étaient alors quarante-sept, se croyant en sécurité, donc sans méfiance. Vingt d’entre eux furent tués, beaucoup à bout portant, deux se noyèrent très probablement et vingt-cinq parvinrent à s’échapper à la nage en direction du bateau. Douze d’entre eux étaient blessés, la plupart gravement. Les Tlingits ne firent pas de détails et massacrèrent aussi bien les hommes que les femmes, ne faisant aucun prisonnier. Un homme d’équipage français fut, lui aussi tué, le seul de toute cette expédition.
De Roquefeuil lui-même, qui se trouvait à terre, faillit bien être abattu. Il ne dut son salut qu’à la promptitude avec laquelle il se déshabilla et se jeta à l’eau pour être récupéré par ses hommes. Quant au coût du drame, vingt fois deux cents piastres, soit quatre mille piastres, il contribua à rendre toute l’expédition déficitaire à son retour en France...
Les oubliés de Eiao
Vue par satellite de l’île de Eiao où survivaient dans de très difficiles conditions un petit groupe de Marquisiens originaires de Nuku Hiva. De Roquefeuil a raconté leur calvaire mais ne s’est pas arrêté lorsqu’il passa au large de l’île.
Après son départ de Taiohae, de Roquefeuil aperçut une île qu’il appela Héhéaou, au nord-ouest de Nuku Hiva. Il s’agit bien sûr de l’île de Eiao, aujourd’hui déserte, mais alors peuplée par des habitants de Nuku Hiva qui y furent déposés –à leur demande– par un bateau américain. On leur avait dépeint cette île comme une terre riche et prometteuse, où leur vie serait agréable. Si l’on ignore avec précision les raisons qui les firent partir de Nuku Hiva (ils vivaient sur la côte nord, très sèche), un fait est que leur déménagement fut un échec compte-tenu des conditions de vie à Eiao, où l’eau et la végétation étaient rares.
Explications de de Roquefeuil : “Ces pauvres gens, ne se trouvant pas bien dans leur pays (la partie nord de Nuku Hiva), donnèrent à un Américain une certaine quantité de santal pour qu’il les transportât dans une île qu’il prétendait connaître, et dont il leur avait fait un tableau bien différent, sans doute, de celui que dut leur présenter le rocher où il les déposa. Leur nouveau séjour n’offre que quelques cocotiers ; la pêche leur fournit aussi des ressources. Quoi qu’ils aient en somme de quoi ne pas mourir de faim, ils prièrent le capitaine d’un navire qui les visita, de les ramener à Nuku Hiva ; mais il en sortait, et la position de ces îlots sous le vent de tout l’archipel, et, plus encore, le défaut de bois pour faire des pirogues, doivent empêcher ces malheureux Indiens de retourner dans l’île fortunée dont l’imprudence les a éloignés”.
De Roquefeuil se contenta de passer à deux lieux et demi d’Eiao sans y marquer d’escale.
Explications de de Roquefeuil : “Ces pauvres gens, ne se trouvant pas bien dans leur pays (la partie nord de Nuku Hiva), donnèrent à un Américain une certaine quantité de santal pour qu’il les transportât dans une île qu’il prétendait connaître, et dont il leur avait fait un tableau bien différent, sans doute, de celui que dut leur présenter le rocher où il les déposa. Leur nouveau séjour n’offre que quelques cocotiers ; la pêche leur fournit aussi des ressources. Quoi qu’ils aient en somme de quoi ne pas mourir de faim, ils prièrent le capitaine d’un navire qui les visita, de les ramener à Nuku Hiva ; mais il en sortait, et la position de ces îlots sous le vent de tout l’archipel, et, plus encore, le défaut de bois pour faire des pirogues, doivent empêcher ces malheureux Indiens de retourner dans l’île fortunée dont l’imprudence les a éloignés”.
De Roquefeuil se contenta de passer à deux lieux et demi d’Eiao sans y marquer d’escale.
Des noms changeants
Les îles Marquises ont, au gré des navigateurs, reçut bien des noms de baptême.
De Roquefeuil tenta de leur restituer leurs noms marquisiens, mais souvent il demeura très approximatif.
Ainsi Hatouhouhou correspond-elle à Fatu Uku, Ohévahoa à Hiva Oa, San Pedro (appellation espagnole) à Mohotani, Raouga à Ua Huka et Héhéaou à Eiao...
De Roquefeuil tenta de leur restituer leurs noms marquisiens, mais souvent il demeura très approximatif.
Ainsi Hatouhouhou correspond-elle à Fatu Uku, Ohévahoa à Hiva Oa, San Pedro (appellation espagnole) à Mohotani, Raouga à Ua Huka et Héhéaou à Eiao...
Razzia sur le santal
Les 420 quintaux de santal récoltés par le Bordelais aux Marquises peuvent être pris pour une très belle récolte. En fait, le voyage de de Roquefeuil marque dans la courte histoire du santal marquisien le début de la fin de ce bois précieux, si recherché en Asie. La razzia avait commencé dès 1803, mais massivement en 1811. La ruée sur cette ressource facilement épuisable eut des conséquences dramatiques sur le plan botanique (quasi disparition des pieds de santal) mais aussi sur le plan humain et sociétal.
L’apport aux Marquises de colifichets, de précieuses dents de cachalot certes, mais aussi d’armes (en quantité), de munitions, d’alcool, sans parler du pire, l’introduction de maladies (variole, grippe, syphilis...) eurent de funestes conséquences. Très concrètement, compte tenu du chargement des navires et de la densité de pieds de santal avant leur arrachage, les spécialistes ont calculé que 2 200 tonnes de santal furent exportées des îles Marquises entre 1811 et 1821, soit la destruction de 27 000 à 55 000 arbres si l’on considère que l’on extrayait 40 à 80 kg de bois de cœur par arbre.
On estime aujourd’hui qu’il reste environ 4 500 pieds de santal en Polynésie française grâce à une politique de relance de cette espèce végétale protégée.
Aux Australes, on a recensé deux vagues de récolte du santal : de 1812 à 1819, les santaliers exploitèrent les arbres de Raivavae (et sans doute de Tubuai où ils ont disparu) puis se rabattirent, de 1825 à 1827, sur l’île de Rapa (70 tonnes de bois de cœur sur cette petite île, soit 1 750 arbres sacrifiés environ).
L’apport aux Marquises de colifichets, de précieuses dents de cachalot certes, mais aussi d’armes (en quantité), de munitions, d’alcool, sans parler du pire, l’introduction de maladies (variole, grippe, syphilis...) eurent de funestes conséquences. Très concrètement, compte tenu du chargement des navires et de la densité de pieds de santal avant leur arrachage, les spécialistes ont calculé que 2 200 tonnes de santal furent exportées des îles Marquises entre 1811 et 1821, soit la destruction de 27 000 à 55 000 arbres si l’on considère que l’on extrayait 40 à 80 kg de bois de cœur par arbre.
On estime aujourd’hui qu’il reste environ 4 500 pieds de santal en Polynésie française grâce à une politique de relance de cette espèce végétale protégée.
Aux Australes, on a recensé deux vagues de récolte du santal : de 1812 à 1819, les santaliers exploitèrent les arbres de Raivavae (et sans doute de Tubuai où ils ont disparu) puis se rabattirent, de 1825 à 1827, sur l’île de Rapa (70 tonnes de bois de cœur sur cette petite île, soit 1 750 arbres sacrifiés environ).
Les santals polynésiens
Un pied de santal à Nuku Hiva ; de Roquefeuil en recueillit 420 quintaux lors de son séjour aux Marquises, mais il n’en tira pas un prix satisfaisant une fois en Chine.
Dans le vaste Indo-Pacifique, on compte 17 espèces et 17 variétés de santals, allant de l’Inde et du Sri Lanka (Santalum album) à l’archipel de Juan Fernandez au large de Valparaiso (Santalum fernandezianum, espèce aujourd’hui disparue). Dans la seule Polynésie, on compte une espèce endémique (Santalum insulare), qui se décline en huit variétés, dont une est propre à l’île de Raivavae : - Santalum insulare var. insulare (Tahiti, Société) - Santalum insulare var. alticola Fosberg & Sachet (Tahiti, Société) - Santalum insulare var. raiateense (Moore) Fosberg & Sachet (Moorea, Raiatea, Société) - Santalum insulare var. marchionense (Skottsb.) Skottsb (Marquises) - Santalum insulare var. deckeri Fosberg & Sachet (Marquises) - Santalum insulare var. margaretae (F. Brown) Skottsb (Rapa, Australes) - Santalum insulare var. raivavense F. Brown (Raivavae, Australes) - Santalum insulare var. mitiaro Sykes (Mitiaro, îles Cook) - Santalum insulare var. hendersonense (F. Brown) Fosberg & Sachet (Henderson, îles Pitcairn).
Des prix fous en 1811
Pour mieux comprendre l’un des motifs du voyage du Bordelais, il faut se rappeler que le santal, au tout début de sa récolte aux Marquises, n’avait que peu de valeur pour les Marquisiens qui l’échangeaient contre quelques dents de cachalot, Ornements qu’ils portaient autour du cou (“hei”). C’est ainsi que moyennant quelques colifichets et ces fameuses dents, un bateau pouvait faire le plein de bois de santal et gagner, en Chine, l’équivalent de plusieurs millions de dollars actuels.
Un exemple est cité venant du commodore américain David Porter dans ses écrits : “Un navire de 300 tonneaux pourrait compléter à Nouka Hiva une cargaison de bois de santal pour dix dents de baleine (cachalot)” (G. de La Landelle, 1866).
Des prix fous en 1811
Pour mieux comprendre l’un des motifs du voyage du Bordelais, il faut se rappeler que le santal, au tout début de sa récolte aux Marquises, n’avait que peu de valeur pour les Marquisiens qui l’échangeaient contre quelques dents de cachalot, Ornements qu’ils portaient autour du cou (“hei”). C’est ainsi que moyennant quelques colifichets et ces fameuses dents, un bateau pouvait faire le plein de bois de santal et gagner, en Chine, l’équivalent de plusieurs millions de dollars actuels.
Un exemple est cité venant du commodore américain David Porter dans ses écrits : “Un navire de 300 tonneaux pourrait compléter à Nouka Hiva une cargaison de bois de santal pour dix dents de baleine (cachalot)” (G. de La Landelle, 1866).
A lire
- Camille de Roquefeuil : Voyage autour du monde, Tome I et II, 1823.
- 1817 - Camille de Roquefeuil : extrait de “Journal d'un Voyage autour du Monde”. Écrit par Jacques Iakopo Pelleau
http://www.te-eo.com/index.php/menu-histoire/recits-anciens-menu/item/366-05-1817-camille-de-roquefeuil-extrait-de-journal-d-un-voyage-autour-du-monde
- Santal polynésien, de la connaissance à la renaissance (Butaud, Bouvet, Bianchini, Gaydou, Raharivelomanana). Ethnopharmacologia, n°46, décembre 2010.
- 1817 - Camille de Roquefeuil : extrait de “Journal d'un Voyage autour du Monde”. Écrit par Jacques Iakopo Pelleau
http://www.te-eo.com/index.php/menu-histoire/recits-anciens-menu/item/366-05-1817-camille-de-roquefeuil-extrait-de-journal-d-un-voyage-autour-du-monde
- Santal polynésien, de la connaissance à la renaissance (Butaud, Bouvet, Bianchini, Gaydou, Raharivelomanana). Ethnopharmacologia, n°46, décembre 2010.